La Bataille de Bouvines du 27 Juillet 1214 

Le texte qui suit est inspiré du livre de Georges DUBY: "Le Dimanche de Bouvines"

Les origines

Au temps où nous sommes (début du XIIIe siècle), deux affaires .majeures dominent de haut les préoccupations des princes, deux conflits, où la religion n'intervient qu'en surface, comme arme, comme prétexte ou pour justifier. .Celles-ci mettent aux prises quatre puissances principales de l'Europe chrétienne, le pape, l'empereur d'Allemagne, le roi de France, et le roi d'Angleterre. Ce sont de très vieux conflits.

La concentration des pouvoirs s'est opérée d'un même mouvement dans les principautés et dans l’église. L’église, au seuil du XIIIe siècle, achève de prendre la figure d'une monarchie, la mieux charpentée de toutes.

Mais d'une monarchie dont le chef, successeur de Saint-Pierre, prétend au nom de la primauté' du spirituel, guider, reprendre, punir, déposer si besoin est les princes de la terre. Ses légats sont partout, mêlés aux intrigues princières et prônant la paix dans l'intérêt de la croisade. De Saint-Pierre, c'est-à-dire du pape, plusieurs souverains ont repris en fief leur principauté, 'en tout dernier lieu, Jean sans Terre.

Contre les descendants de Frédéric Barberousse qui revendiquent la couronne allemande, Innocent III a soutenu Otton de Brunswick. On connaît sa déconvenue, manifestée par les excommunications qu'il a lancées contre Otton. C'est en ce point que ses menées se conjuguent à celles de Philippe-Auguste, et que ce premier conflit rejoint l'autre. Ouvert lui-même depuis un siècle et demi, il est de plus en plus aigre. Malaisées dés que le duc de Normandie est devenu roi en Angleterre, les relations entre le Capétien et son riche vassal se sont très fortement tendues lorsque le Plantagenêt, comte d'Anjou, étendit son pouvoir sur la principauté anglo-normande, puis sur l'immense duché d'Aquitaine. Dès lors, le roi de Paris dut s'acharner à dissocier une puissance démesurée, qui risquait d'éclipser la sienne. Depuis son avènement, il ne poursuit pas d'autre but.

Philippe use a plein du droit féodal. A la première occasion, Jean sans Terre est condamné pour félonie par la cour' capétienne, qui prononce la confiscation de ses fiefs. Philippe court exécuter la sentence, réussit â s'emparer de la Normandie et de l'Anjou, ce pourquoi on le dit Auguste. Déshérité, le roi d'Angleterre tient bon cependant, attire à lui tous les barons français qui se sont éloignés de leur seigneur, par peur, par dépit ou dans l'espoir de le faire chanter. De fait il sait attiser les rancunes de Renaud de Boulogne et de Ferrand de Flandre, mène Otton où il vécut, gagne à sa cause tous les chevaliers besogneux des Pays-Bas par la promesse d'une haute paie et l'appât du pillage, et voici réunie une importante force militaire qui par le Nord menacera son rival.

Philippe s'accorde avec Innocent III. Pour lui complaire, il rappelle lngebourge près de lui. Le pape déclare le roi Jean déchu et livre l'Angleterre au Capétien. C'est alors que le comte Ferrand, jetant le masque, fait défection. Le roi de France part vers le Nord. I1 bat le rappel de . ses camarades en Picardie, en Ponthieu, en Artois : on ira piller encore une fois les campagnes flamandes. Telle fut, la conduite de Philippe-Auguste. Semblable à celle, chaque été, de tous les rois ses ancêtres, il est parti pour dévaster une nouvelle fois, "royalement", la seigneurie d'un vassal félon.

De quel côté se trouve le droit ? Du côté du pape, c'est-à-dire de Philippe-Auguste ? De celui qui a lancé les excommunications, de celui qui a déshérité Jean sans Terre ? Ou bien de l'autre ? Dieu le dira. Alors tout basculera d'un seul versant. Choisir la bataille, c'est prendre le risque d'être entièrement dépouillé, tué peut-être. Les préparatifs

Bouvines fut l'une de ces cérémonies exceptionnelles dont les rites étaient depuis longtemps fixés. Philippe sait l'adversaire en force, entouré d'alliés, prêt à l'attaque. Ni lui ni ses barons n'entendent courir trop gros danger. Dès qu'ils se sentent en posture quelque peu périlleuse, en hommes prudents ils décident de faire retraite. Le matin du 27 juillet, très tôt, après avoir vidé Tournai, l'ost part s'abriter derrière les marais de la Marcq. Tout s'y est donc déroulé selon les règles. Au début de la matinée, on se trouvait encore dans la guerre, dans les péripéties d'une chasse. L’armée d'Otton maintenant la menait. Les éclaireurs, le vicomte de Melun, frère Guérin l’avaient découverte de loin, s'avançant en formation de combat. Si l'on en croit l'Anonyme de Béthune, le chroniqueur de Marchiennes, cette troupe cependant paraissait déjà emportée par la convoitise, elle se ruait "comme une meute de chiens enragés forçant une proie". Voulait-elle la bataille ? L'épreuve décisive qui, d'un coup permettrait d'aboutir, de réduire à rien la dignité royale, comme se l'étaient promis les coalisés dans leur haine insatiable ?

Averti, Philippe s'arrête, réunit son conseil. Comme il se doit : aucun prince, à l’époque, .ne prend seul une décision de quelque conséquence, dont dépend sa propre puissance, car c'est celle aussi de tous ses amis. Il convient que ceux-ci, l'un après l'autre, donnent leur opinion, établissent ensemble les termes du dit que prononcera finalement le chef, et qui les engagera tous. Philippe aurait proposé de se dérober encore, de ne rien risquer ce matin-là . l'ennemi paraissait supérieur en nombre, et surtout, c'était dimanche, un jour où les chrétiens ne doivent pas combattre. Certains auraient été d'avis contraire. Alors que ne pas résister au bon moment, c'est accepter la défaite.

Ace moment précis, il s'avère que les ennemis ne veulent à nulle fin mettre la bataille en répit jusqu'à demain. C'est ce que le frère Guérin, à bride abattue, vient annoncer. L'action est déjà commencée, par un accrochage à l'arrière garde, qui tient le coup, mais difficilement, le duc de Bourgogne appelle au renfort. La dérobade n'est plus possible. Philippe ne saurait sans déshonneur, continuer à se replier. I1 lui faut mettre son espérance dans le Seigneur. Il pénètre dans l'église voisine, y fait une brève prière. C'est alors que Philippe-Auguste prononce la harangue rituelle. Les termes en sont rapportés de manière différente suivant les témoins. Le roi se remet simplement entre les mains de Dieu, rappelle que l'excommunication pèse sur l'autre camp, celui de l'argent, des persécuteurs de la sainte Eglise et des oppresseurs des pauvres, point d'orgueil cependant : "nous aussi nous sommes des pécheurs, du moins sommes-nous en communion avec les prélats dont nous protégeons les libertés, donc nous vaincrons". On ne peut accuser le roi d’enfreindre les règlements de la paix de Dieu c'est malgré lui qu'il se bat un dimanche, en cette journée sur quoi se concentre l'interdiction, tout ce qui subsiste de la trêve de Dieu. Otton est excommunié par le pape, le comte de Boulogne, excommunié lui aussi, le comte de Flandre, félon et parjure. Point d'inquiétude . ils sont déjà condamnés. Leurs crimes vont les livrer au roi de France.

Philippe ne combat pas pour lui-même, mais pour une cause, celle de tous les enfants de France. L'enjeu du combat singulier n'est plus l'héritage d'un souverain, n'est pas seulement la répression des hérétiques, mais le destin d'une nation élue pour diriger le monde. Depuis dix ans dans les diplômes que délivrait sa chancellerie. Philippe-Auguste s'intitulait non roi des Francs, mais roi de France.

Dieu, dans l'heure va rendre son arrêt. Qui peut dire si les pouvoirs qu'il a délégués jadis, il y a trente-cinq ans, à Philippe, le jour du sacre, sont encore valables ? S'il tient encore le roi pour son vrai lieutenant ? La bataille n'est rien d'autre au fond que l'attente d'une réponse à cette interrogation primordiale. Elle montrera si Dieu fait toujours le même choix. Bouvines doit être vue comme une confirmation. Nouveau sacre en vérité, pas par le chrême de la sainte ampoule, mais par le sang, ce sang purificateur que certains verront bientôt ruisseler sur l'oriflamme.

D'une royauté que soutiennent en effet, rassemblés en une étroite concorde, pour le bien de la paix et pour la gloire de Dieu, les trois ordres de la société. De longue date, le Capétien pouvait compter sur l'appui des gens de prière et du peuple travailleur . il les protégeait. Encore fallait-il que les gens de guerre, de façon la plus solennelle, viennent à leur tour l'assurer de leur concours.

Une victoire bienfaisante

Le triomphe de Philippe-Auguste rejoint celui de César. Naturellement sa marche solennelle le ramène à Paris. Son triomphe cependant l'emporte sur ceux des empereurs antiques, parce qu'il ne vient point, lui, se concentrer en une seule ville, y participe, par une intime communion, le corps du royaume tout entier, jusque dans ses extrémités les plus lointaines. C'est donc une profonde, une irrésistible irrigation de gloire. Toutes les conditions, toutes les fortunes, tous les métiers, tous les sexes, tous les âges chantent les mêmes hommages d'allégresse.

Incontestablement, l’événement qui se produisit le dimanche 27 juillet 1214 était de taille. Première "bataille champel" qu'un roi de France ait osé, non sans hésitation et, on peut bien le dire, malgré lui, livrer depuis un siècle. Première victoire qu'ait remportée un roi capétien. De mémoire d'homme, jamais décision n'avait été si franche, butin si magnifique, affirmation si éclatante de la légitimité d'un droit. Après Bouvines, rien ne peut plus mettre en question la prodigieuse extension du domaine royal. Bouvines a fixé pour des siècles le destin de tous les Etats d'Europe.

D'après Georges DUBY, professeur au Collège de France, historien des Sociétés Médiévales, auteur du livre "Le Dimanche de Bouvines" ,Paris Gallimard 1973, Prix des Ambassadeurs.

Le Site de Bouvines

Historiens, géologues et géomorphologues persistent à penser aujourd'hui que le site même fut une des raisons essentielles de l'éclatement à Bouvines de la fameuse bataille, ce qui "est caractéristique du problème des voies de communication dans la religion du Nord" (Pierre Leman).

Aujourd'hui, encore toutes les infrastructures lourdes, comme l'aéroport, la ville nouvelle, l'université ou demain le T.G.V. Londres -Bruxelles - Bonn, s'installent de préférence sur cette "chaussée naturelle, qui s'élève parmi des marécages et des terrains humides, large jusqu'à 6 kilomètres. C'est une voie d'invasion donnée par la nature aux hommes des temps les plus anciens aux événements de mai 1940" (Pierre Leman). Souvenons-nous des tirailleurs étrangers défilant à Bouvines et venus construire les blockhaus isolés et très visibles le long de la frontière, jalons nordistes de la ligne Maginot, mais jamais armés. 

Une fois de plus à Bouvines, le milieu naturel a guidé l'histoire, comme il marque souvent les hommes. La carte "d'état-major" au verso, extraite de "Bouvines", édition parue en 1914 chez Castermann à Tournai, montre bien cette zone légèrement surélevée (50 mètres), coincée entre les vastes marais de la Marque à l'Escaut au Nord, et la fameuse forêt charbonnière de Pévèle au sud, limitée elle aussi à l'est et à l'ouest par des marécages.

C'est cet .espace de champs ouverts, défrichés probablement au début de notre ère car il s'agit de sols excellents, bruns forestiers, développés sur des loess épais à cet endroit de 1,5 à 2 mètres par dessus la craie et les marnes secondaires qui constituent le Mélantois. Ainsi lieu de passage obligé, voie d'invasion, socle calcaire solide du sénonien et turonien, même si de nos jours plus qu'un anticlinal classique secondaire on a tendance à l'assimiler à un dôme très, fortement fracturé dont les fouilles (ici marquées par des talus topographiques) rejoueraient très largement, contribuant à le relever en permanence (Jean Sommé), le Mélantois était évidemment plus disposé à devenir le site de la` bataille que la cuvette géologique pévèloise de sables et argiles landéniens en périphérie du "dôme".

Et si l'intérêt des sols bruns forestiers de Pévèle au sud, développés sur limons quaternaires moins épais qu'en Mélantois, ce qui a dû nécessiter de gros efforts de défrichement, n'est plus à démontrer, ces sols, après avoir supporté la belle forêt charbonnière (tourbe, etc...), offrent maintenant à force de travail et de drainage de belles et parfois grandes parcelles de cultures à haut rendement.

Cela expliquerait la difficulté actuelle de différencier à l'oeil nu l'openfield du Mélantois (1) et le semi-bocage pévèlois (2), deux terrains juxtaposés à dimension européenne qui savent le prix de la guerre, des invasions, de l'occupation, en un mot des ambitions impérialismes de tout type.

Christian MAILLE d'après Jean Sommé Pierre Leman Paul Delsalle Castermann - Tournai ( 1) Mélantois signifie : le pays entre deux rivières : la Deûle et la Marque, de "pagus medenantensis". (2) Pévèle signifie . le pays des pâtures, de "'pagus aabulensis". L'EGLISE

Que l'emplacement actuel de l'église soit celui de la modeste chapelle où Philippe-Auguste se recueillit avant la bataille du 27 Juillet 1214, rien ne permet de l'affirmer. Nous ne pouvons que citer les chroniqueurs qui, unanimement la situaient sur la hauteur, dédiée à "Monseigneur Saint-Pierre".

Cette chapelle, si précieuse par les souvenirs, par les traditions qu'elle rappelle, mais sans valeur intrinsèque, est devenue notre église paroissiale. Restaurée, dénaturée, reconstruite par fragments à diverses époques, elle a été conservée sous l même invocation.

C'est en 1878 que le conseil municipal présidé par Monsieur Félix Dehau décida la reconstruction de l'église. Elle serait l'édifice commémoratif en rapport avec la grandeur de l’événement et conforme aux idées du XIIIe siècle. Un premier projet établi en 1879 fut modifié de façon à inclure dans l'édifice 21 vitraux retraçant les principales scènes de la bataille. Dirigés par Monsieur Normant, architecte à Hesdin, les travaux débutèrent en 1881. L'édifice est du plus pur style gothique du XIIIe et sa flèche élancée domine toute la région.

Entrant dans l'église par la droite, derrière la porte latérale, une belle grille en fer forgé donne accès à un réduit circulaire qui abrite les fonts baptismaux . une cuve gracieuse dans le style du XVe siècle recouverte d'une coupole en cuivre rouge.

A proximité, une statue du Prince des Apôtres accueille le visiteur. C'est une réplique exacte, en réduction de celle qui se trouve dans la basilique Saint-Pierre de Rome. Dans le mur au-dessus du bénitier, une plaque de cuivre, gravée en caractères gothiques rappelle que l'église fut solennellement consacrée le 25 juillet 1910 par Monseigneur Chollet, évêque de Verdun. Au dessus de l'entrée, une tribune et un buffet d'orgues, oeuvre de Mutin-Cavaillé-Coll, exécutés sur les plans de l'architecte Villain.

Sur une plaque de cuivre placée au-dessus du bénitier situé de l'autre côté du portail, sont gravés les noms des enfants de Bouvines tombés au champ d'honneur durant la guerre de 1914-1918.

Dans le transept gauche, sous l'autel dédié à la Sainte Vierge, se trouve le corps de Sainte Saturnine, martyre, comme le mentionne une inscription en caractères dama, siens sur le. mur à gauche. Dans le transept opposé, sous l'autel de Saint-Pierre, patron titulaire de l'église, est placé le corps de Saint Fulgence, martyr, sur le mur à droite un texte le rappelle. Les corps de ces deux martyrs sont exposés dans une représentation en staff des corps saints et enfermés dans des chasses dorées. Ces précieuses reliques furent transférées, avec l'autorisation du Saint-Siège, dans l'église de Bouvines: le 16 août 1903, en présence de Monseigneur Sonnois, archevêque de Cambrai.

Le confessionnal de droite, face à l'autel Saint-Pierre provient de l'ancienne église, il daterait du début du XVIIIe.

Les 21 vitraux qui ornent l'église, retracent les faits principaux qui préparent, constituent et achèvent l'événement du 27 juillet 1214. Chacun mesure huit mètres sur trois mètres vingt cinq. Quelques-uns ont figurés à I exposition universelle de Paris de 1889. Ils ont été posés de 1889 à 1906. Les dessins sont d'Henri Delpech, historien, de Montpellier, la composition est l'oeuvre de Pierre Eritel, peintre d'histoire et leur réalisation d'Emmanuel Champigneulle, peintre verrier, de Bar-le-Duc.

Installée en août 1886, enlevée par les Allemands durant la grande guerre, la cloche pesait 920 kilos et avait été fondue par Paul Drouot, de Douai. Elle fut remplacée en 1921 par une cloche de 1000 kilos de la fonderie C. Wauthy, de Douai. ". LES VITRAUX

Le premier vitrail est placé à gauche en entrant, second à droite, le troisième à gauche, et ainsi de suite.

Les Monuments

La pyramide - En 1843, lors du congrès archéologique l'idée fut émise d'élever un monument commémoratif de la bataille de Bouvines. Le conseil général accorda les crédits et en 1863, une pyramide toute simple fut érigée portant la simple inscription : Bouvines 27 juillet 1214.

Le Monument aux Morts - Erigé en 1934 d'après les plans de Monsieur Joseph Philippe, architecte à Saint-Omer, ce monument rappelle deux grandes dates de notre histoire, symbolisées par deux grosses bornes 1214, 1914. Un frontispice les relie, sur lequel un médaillon représente le général Deffontaines, bouvinois, tué à l'ennemi en août 1914. Y sont gravés les noms des victimes des dernières guerres. Sur l'un des piliers, une citation de Paul Bourget : "La bataille de la Marne c'est Bouvines renouvelé a sept cents ans de distance".

Le fontaine Saint-Pierre - Enclavée dans la propriété ``ayant appartenue au général Deffontaines, la fontaine Saint-Pierre n'est pas accessible. Une grille en interdit l'entrée. C'est près de cette source, sous un frêne, qu'avant la bataille, le roi Philippe-Auguste se reposa; regardant passer son armée, il mangea du pain trempe dans une coupe de vin. Cette source n'est plus au même niveau qu'autrefois, quelques marches conduisent à une cavité humide et sombre où est située une vasque. L'eau de la fontaine a la réputation de guérir la fièvre et les maux d'yeux.