La " Mer de Flines "
Monique HEDDEBAUT

merfline.gif (29958 octets)Nombreux sont ceux qui traversent Flines et sont intrigués par les panneaux indiquant la " Mer de Flines". Ce site au nom singulier possède une histoire peu banale qui mérite d'être contée.

Il s'agit d'un étang quasi circulaire d'une surface de trois hectares et d'un périmètre de 600 mètres environ. Un sondage effectué par des pompiers de la Communauté urbaine en 1992 a révélé que "l'abisme" mentionné dans les cartes anciennes n'a en fait que 12 mètres de profondeur au lieu des 50 mètres parfois annoncés. Il est alimenté par des eaux de ruissellement et des sources situées au fond. Un exutoire, le Manchon appelé également Noir Fossé ou Noire-Eau, entraîne le trop-plein jusqu'au Décours à l'entrée de Marchiennes.

DE L'ABBAYE A LA SOCIÉTÉ DE LA " MER DE FLINES "

En juin 1242 l'étang et le manse de Flines deviennent la propriété de l'abbaye de l'Honneur-Notre-Dame alors installée à Orchies, car le bailli de Marguerite de Dampierre, Wagon de Douai lui en a fait don~2>. Cet acte n'est peut-être pas étranger àl'installation des religieuses àFlinesà partir de 1251 dans un secteur déjà drainé et mis en valeur

Une étude approfondie des archives du monastère permettrait probablement d'établir quels profits ont été tirés de l'étang. Il est vraisemblable que le travail du lin y a occupé une large place dès le moyen-âge. En effet, l'industrie drapière est renommée dans toute la Flandre et notamment dans la vallée de la Scarpe, réputée alors pour la fabrication des plus beaux fils destinés à la dentelle. Les registres d'état-civil de Flinesau xviiie siècle mentionnent de nombreuses activités de ce type. Enfin, le nom de la Noire-Eau tire certainement son nom du fait que le rouissage du lin~3> opéré dans l'étang a été une cause de pollution.

A la Révolution l'étang est mis en vente comme l'ensemble des terres du monastère. Mais le travail du lin ne cesse pas pour autant. Jacques François de Naeyer de Gand en devient le propriétaire et le loue aux Flinois.

Le huit novembre 1847, soixante et onze cultivateurs liniers de Flines-les-Râches s'associent et se portent acquéreurs de cette pièce d'eau appelée communément " Mer de Flines "' afin de pouvoir y continuer leur activité. En effet, les héritières de JacquesFrançois de Naeyer décédé à Gand en 1846 ont décidé de mettre en vente cette propriété. Ainsi est fondée la société. L'originalité de cette structure mérite qu'on rappelle certains points de ses statuts.

L'étang est acquis en indivision pendant toute la durée de la société et exploité en commun, le but principal étant le rouissage du lin. La société voulant maintenir l'égalité entre tous les associés, nul ne peut réunir deux ou plusieurs parts. Tant que la mer de Flinesest affectée spécialement à l'usage de routoir, chaque associé a le droit de faire rouir son lin à la place qui lui est désignée.

L'administration est confiée à un conseil de famille composé de douze associés sachant signer et non-parents entre eux. Ils statuent sur toutes les questions intéressant la société.

Tous les trois ans a lieu l'assemblée générale. La convocation est publiée dans le village au sortir de la grand'messe, le dimanche qui précédera la réunion, et affichée tant à la polie de l'église qu'à celle de la mairie.

L'INDUSTRIE DU LIN

De 1789 à 1794 on compte 95 marchands de lin ou de chanvre sur 322 familles répertoriées(5). Un cinquième des familles flinoises se consacrent à cette activité. Leur nombre passe à 108 en 1848. Ils sont 150 rouisseurs, sociétaires et locataires compris, en 1866.

Flines est spécialisée dans la fabrication au couteau du lin et du chanvre, du tissage de toile et du filage du lin fin. Il fournit le village voisin de Raimbeaucourt en chanvre pour la fabrication des allumettes. La production moyenne entre 1904 et 1914 est de 80 000 kg de filasse. La production de Flinesest réputée. En 1850 un fabricant dit à un filateur " Je veux un fil fait en matières de Courtrai, Bruges, Lokeren,... ou de Douai, Bergues, Fîmes, Wavrin,..., ou encore de bons Tins rouis à terre de Lille ou des pays wallons ;je paierai ce qu'il faut "

Cette industrie imprègne fortement la vie locale. "La corporation des travailleurs du lin n'en était pas moins attachée aux traditions et avait sa fête particulière qui se déroulait le lundi de carnaval.. C'est à la société exploitante de la Mer de Flinesque revenait avant 1890, la prise en charge des manifestations de cettejournée de festivités. Les " liniers " maîtresteilleurs ramenaient à leur table tout leur personnel. Au cours de la soirée d"importants combats de coqs mettaient aux prises les éleveurs de Nomain et ceux de Flines~

Les faibles prix du lin russe, la concurrence du coton et la mécanisation font peser de lourdes menaces. De 1865 à 1899 sa culture passe de 120 000 à 17 000 hectares<9~ en France. Les primes, les mesures protectionnistes et les efforts du comité linier ne réussissent pourtant pas à enrayer le long dépérissement de la profession. Une étape supplémentaire est franchie avec la première guerre mondiale. A Flinesles stocks de lin ouvragé qui ne sont pas encore vendus, sont réquisitionnés. L'industrie locale ne s'en relève pas. L'arrêt est définitif entre 1923 et 1925.

LA "RECONVERSION"

A partir de cette date la " Mer de Flines" n'est plus fréquentée que par les flâneurs et les enfants du voisinage qui viennent s'y baigner. L'entretien des berges et le curage des fossés qui incombent toujours aux propriétaires de l'étang, deviennent trop onéreux pour ceux-ci. Ils ne tirent plus aucun revenu de l'étang. La sojété continue néanmoins d'exisn Le 23 octobre 1949, les quate et un membres de la société réunissent et décident à la marité de vendre l'étang. La presse ale alerte l'opinion la " Mer Flines" est à vendre.

Aucun acheteur sérieux ne se sente. La situation semble bloee. Les sociétaires se tournent rs les pêcheurs et les chasseurs. 1965 ils louent l'étang au coté d'entreprise de la société neto de Béthune, puis à la 50-été Arbel de Douai. La proximité des habitations nouvellement construites empêche désormais la chasse.

En 1968 un bail triennal est conclu avec les pêcheurs de Flines. Il est depuis cette date régulièrement reconduit. Dès lors, la Société de la " Mer de Flines" et la Touche flinoise assurent conjointement l'entretien de l'étang dont les berges et les accès sont progressivement aménagés. Il est régulièrement rempoissonné en brochets, gardons, brèmes, carpes et tanches.

CONCLUSION

Il va sans dire que les statuts de la plus vieille société de Flines fondée voici 151 ans ont été quelque peu adaptés aux nécessités de la vie actuelle. Ils restent néanmoins fidèles à l'état d'esprit qui avait présidé à sa fondation. Les difficultés de l'après-guerre se sont estompées pour le plus grand bonheur des habitués des lieux, pêcheurs, promeneurs et amoureux de la nature. Propriétaires et locataires ont désormais pour principale préoccupation le souci de préserver l'aspect encore sauvage de cet étang.

Monique HEDDEBAUT

ANNEXE

Acte de donation de la Mer de Flines à l'abbaye de Flines par Wagon de Douai en juillet 1242 (traduit du latin par Danièle Dubois).

Moi Wagon de Douai, je fais connaître à tous présents et à venir qu'avec le consentement de mon épouse chérie Marguerite, en présence de maDame Marguerite, maîtresse de Dampierre, et avec son assentiment et son accord,j'ai cédé etj'ai donné à titre d'aumône à l'église de la bienheureuse

Vierge à côté d'Orchîes, de l'ordre des Cisterciens, mon manse de Fîmes, avec mon eau qu'on appelle la Me~ ainsi qu'avec les autres eaux, terres, prés et tout ce qui se rattache au dit manse, délimité de toutes parts par des fossés creusés là-même, tout ce que je tiens de ladite Dame de Dam-pierre soumis au cens annuel de 10 livres de la monnaie pan sienne. Or, j'ai fait cette donation de telle façon que moi et mon épouse précitée nous occuperons le manse mentionné préalablement et tout ce qui a été désigné auparavant tout le temps de notre vis, et que nous acquitterons entre-temps le cens déjà notifié. Mais après le décès de l'un ou de l'autre d nous, aussi bien le manse que tous les autres biens mentionnés reviendront à ladite église dc par la possession soumise au sens déjà nommé de sorte que mon héritier, ni celui de mon épouse, ni quiconque de notre famille ne pourra rien réclamer sur ces biens. Mais s'il m'arrive de mourir avant ma dite épouse, l'église célèbre souvent citée sera tenue de donner à cette même épouse vingt livres en monnaie de Flandre, et néanmoins cette même épouse occupera le dit manse et tout ce qui à été décrit ci-dessus aussi longtemps qu'elle vivra Si elle veut, et le cens cité précédemment sera acquitté par elle entre temps.

Mais Si elle ne veut pas garder le manse et tous les biens énoncés auparavant, l'église ellemême sera tenue à la même chose, aussi longtemps qu'elle vira, às'acquitter chaque année à Noél de 100 sols d'argent et à partir de ce moment-là la même église occupera tout le manse et tout ce qui a été décrit ci-dessus avec la charge du cens imputé ci-dessus et après la mort de ma dite épouse elle restera libre du paiement de ces mêmes 100 sols.

Mais pour une plus grande sécurité de ladite église, j'ai apposé mon sceau à la présente lettre et j'ai demandé à ma dame qui l'a lue préalablement de fournir après cela sa propre lettre à l'église précédemment nommée.

Fait en 1242 au mois de juillet.